De José Gallardo y Guzmán

                       Aguilar de la Frontera (Córdoba), 14 de febrero de 18981

À Monsieur Émile Zola

Monsieur

Un ancien élève de 1848 du Lycée Bonaparte (aujourd’hui Fontanes) à l’honneur de s’adresser à vous, tout en regrettant d’avoir oublié un peu sa grammaire Française ce qui le fera commettre bien de fautes, que votre bon sens saura excuser.

Mon but, Monsieur, en vous écrivant, est de vous féliciter de tout mon coeur pour la campagne glorieuse que vous avez entreprise à l’occasion du procès Dreyfus, ce malheureux, victime sans doute des préjugés de race et du fanatisme d’un peuple égaré.

Soyez persuadé, Monsieur, que les hommes de coeur de tous les pays sont avec vous pour glorifier votre manière d’agir aussi pure que désintéressée. Persistez-y et allez jusqu’au bout. Tous les gens de coeur seront avec vous.

Dans le rôle de rédemption que vous remplissez, <…> vous, d’autres vous ont précédé chez nous. A Madrid même vous avez un Marquis de Cabriñana victime de la Justice des hommes et de la brutalité des coquins. Le Marquis a démasqué beaucoup de canailles et il a été poursuivi par les voies judiciaires qui malheureusement laissent beaucoup à désirer dans notre pays. Mais, la conscience publique, le bon sens et le voeu du peuple ont été pour lui et la personnalité du Marquis de Cabriñana est aujourd’hui au premier rang entre les personnes honorables et honnêtes de notre pays.

Ne craignez donc pas, Monsieur, les persécutions de cette Justice Historique dont les procédés sont partout les mêmes. Composée cette justice d’hommes payés par les gouvernements des respectifs pays; ils sont obligés d’obéir à leur supérieur hiérarchique. Mais le véritable Tribunal à vous, qui vous acquittera, se compose de vos lecteurs et vous en avez beaucoup dans toutes les Nations; je vous le garantie.

Nous sommes connus, nous autres les Espagnols, par notre esprit d’indépendance et notre amour à la Liberté. De tout temps nos anciennes Cortes et au XV Siècle nos Comuneros de Castille ont proclamé des principes politiques que votre Révolution de 1789 n’a fait que revendiquer comme siens. Nous nous flattons, Monsieur, de vous avoir précédé dans l’adoption de certains principes populaires et démocratiques. Aussi nous voyons avec peine que la France de la fin du XIXe Siècle oublie ces principes qu’elle a ouvertement admis et proclamés il y a cent ans. Il faut penser à une erreur du moment.

La France reviendra sur elle même, il faut l’espérer, lorsqu’elle verra qu’elle fait une fausse route. Oui, il faut marcher en avant; jamais en arrière. Penser à l’infaillibilité des hommes qui composent un Tribunal, même militaire, c’est une erreur et c’est pourquoi la révision du procès Dreyfus s’impose et la conscience universelle vous l’accorde.

Je suis tellement identifié avec votre manière de voir, que dans la modestie de la vie d’une petite ville de province, je tache de faire tout le bien possible à mes semblables dans les moyens de mes forces.

Dernièrement, comme correspondant d’un Journal de grande circulation de Madrid (El Liberal) j’ai appelé sérieusement l’attention des autorités Judiciaires sur le vice du jeu qui était si développé sur une grande échelle. L’autorité, représentée par un Juge un peu susceptible, a cru voir dans ma démarche une espèce de chantage et, il ya trois jours, j’ai été demandé devant le Tribunal. Le juge, fort sévère et de bien mauvaise humeur m’a questionné sur le nom des joueurs, l’adresse des maisons où l’on jouait, les noms des victimes du jeu etc.,etc. Je me suis borné à répondre que comme reporter d’un journal très répandu, je m’étais limité à dénoncer la présence en notre ville de spéculateurs étrangers qui venaient exploiter le vice du jeu qu’il fallait éviter. Mon rôle terminait là et c’était à l’autorité Judiciaire de chercher ce qu’elle me demandait, d’éviter les conséquences d’une spéculation qui avait produit des pertes énormes dans notre ville.

Comme vous devez supposer, Monsieur, ma réponse n’a pas été du goût de ce Monsieur qui aurait voulu convertir la Presse en Agence de Police. Mais j’étais sur mes gardes et j’ai été ferme dans mes déclarations qui auraient pu me procurer des désagréments comme les vôtres; le tout pour éviter ces pertes à mes concitoyens ¡[sic] C’est triste!

Mais persistons, Monsieur, dans la lutte du bien contre le mal et en avant toujours.

Croyez, Monsieur, à l’admiration et sympathie de Votre dévoué Serviteur

Colección: I.T.E.M.-C.N.R.S. Centre d’études sur Zola et le Naturalisme.

1. El Archivo del Ayuntamiento de Aguilar de la Frontera no tiene constancia alguna de este nombre. Sabemos, al menos que fue autor de una novela titulada El Castillo de Montilla y que escribía en el Diario Mercantil de Málaga. A este respecto, véase Medina Arjona, E., «D. José Gallardo y el “caso Dreyfus”», Terceras jornadas Niceto Alcalá-Zamora y su época, ed. cit.