De Bernardo Ruiz

                                                                Reims, 24 de febrero de 18981

Mr. Émile Zola

Monsieur: Un espagnol qui a eu le loisir de vous admirer comme maître dans votre œuvre littéraire, tient aujourd’hui, bien que parfaitement inconnu de vous, à vous adresser le témoignage de la sympathie et de son admiration pour l’œuvre de civilisation que vous venez d’accomplir en combattant de toutes vos forces pour l’équité et la justice; trop grand honnête homme pour pouvoir vous conformer au triste niveau moyen de l’honnêteté humaine en cette lamentable fin de siècle, vous appartenez à l’élite de l’humanité par votre intelligence et par votre bonté, vous formez partie de l’état-major de ceux qui à leurs frais, combattent pour la vérité et la justice, malgré tout, malgré leur propre convenance matérielle et égoïste; tous ceux qui sont capable de frémir encore à la seule idée qu’un innocent puisse avoir été condamné par à peu près aux pires supplices que puisse endurer une âme noble et honnête, tous ceux même qui n’en sont encore qu’au doute et qui vacillent encore, se soulèvent indignés à la pensée qu’une telle iniquité puisse être soutenue quand même front une raison quelconque, fût-ce une raison d’Etat, et s’exaspèrent à l’idée qu’elle put être maintenue par de misérables excuses d’orgueil et de basse solidarité de classe.

Rien n’a été ménagé pour amener votre condamnation2: les plus honteux mensonges, les plus odieuses machinations, les plus bas servilismes [sic] ont été employés et cultivés, et pour comble de honte on a permis que des chefs de l’armée, à court de raisons, courent au prétoire annoncer le malheur. ¡la guerre! À court délai, en leur propre nom, pour leur propre compte sous leur propre initiative, rompant avec tout, s’érigeant en arbitres de l’avenir et de la destinée d’un pays: et l’intimidation ne s’est pas arrêté à ce scandale, mais on a menacé d’abandonner la France aux bottes allemandes si l’on osait vous acquitter: c’est inouï et c’est inique; le besoin de mystère doit être bien pressant, des responsabilités bien lourdes et bien hautes doivent être engagées pour ne pas reculer devant ce qui serait un aveu d’impuissance de la France, une confession de fausse position d’un pays, une preuve de pusillaminité [sic] incroyable; non, la France n’en est pas à cette folle crainte de ses voisins après 27 années de paix, cela n’est pas croyable et c’est un étranger qui aime votre pays qui n’y croit pas et qui vous le dit, la France n’est pas à ce point craintive de ces propres moyen et inconsciente de la propre force et en tout cas ce n’est pas l’armée qui devrait venir le faire supposer ainsi et le proclamer à la face du monde entier, en se produisant comme coupable et incapable, sous un aussi mince prétexte. Et tout cela pourquoi? L’affaire en est-elle devenue moins louche? Est-ce que ce n’est pas précisément le sentiment contraire que ces moyens ont produit sur les esprits sains et désintéressés qui regardent la question de plus haut et sans la contrainte de ces vains et puérils effarouchements?

Réduit à vos propres moyens vous avez réussi à ébranler jusqu’aux racines l’échafaudage compliqué de mensonges, de bassesses et de servilités sur laquelle repose l’honteuse iniquité qu’on prétend étayer, et vos adversaires intéressés à l’étouffer, seuls détenteurs des preuves qui eussent pu vous accabler si elles existaient n’ont produit que des puérilités et des préjugés, sans même réussir à lever le moindre doute, ne réussissant qu’à en faire surgir de plus graves et de plus profonds à force de s’embarrasser dans leurs propres filets: l’effondrement n’en sera que plus bruyant et plus fatal pour les sommités qui ont engagé leur honneur dans cette œuvre néfaste de couvrir et de protéger les menus coupables, et la gloire n’en rejaillira que plus éclatante sur vous qui avez réussit à faire marcher la vérité au prix de votre tranquillité et de votre bien-être matériel. Si par majorité on vous lésine aujourd’hui le mérite du bien que vous voulez pour votre patrie, ceux qui ne subissons pour aucun motif le contre coup des haines déchainées [sic], qui ne sommes pas sous l’influence du mirage innocent et enfantin qui ne sert que pour les foules, ceux qui ne craignons rien et n’avons aucune raison de faiblesse pour papillonner autour du pompon comme institution nationale la plus vermeille, vous acclamons comme bienfaiteur de l’humanité; la condamnation d’aujourd’hui ne vous flétrit pas, elle sera demain votre joie la plus pure et votre gloire la plus éclatante.

Veuillez accepter, Monsieur et illustre maître, l’expression d’une sympathie sincère et profonde, bien qu’elle vous vienne d’un inconnu, en la dégageant du désordre d’un langage exprimé en une langue qui n’est pas la mienne, et qui ne m’est pas familière, bien que je l’aime peut-être à cause du sang alsacien qui circule dans mes veines.

Colección: I.T.E.M.-C.N.R.S. Centre d’études sur Zola et le Naturalisme.

1. Bajo la rúbrica: «Ingénieur E.I.B.».

2. El 24 de febrero apareció, en El Progreso, «¡A la gloria de Zola. Condenado!».